Les résultats de la lutte contre la fraude fiscale pour l’année 2021 ont été publiés. Comme de tradition, les pouvoirs publics s’en sont félicités en soulignant qu’ils étaient en progression par rapport à 2020 (année exceptionnelle du fait de la crise sanitaire) et à 2019.
Mais à y regarder de près, ils confirment les analyses du rapport « Fraude fiscale, sociale, aux prestations sociales : Ne pas se tromper de cible » du mercredi 30 mars 2022. Parlons chiffres pour mieux comprendre la situation…
Vendredi 24 juin 2022
Attac France est une association indépendante dont la FSU est membre fondateur. Cette appartenance nous permet des échanges étroits et des relais comme avec cet article intéressant sur les résultats de la lutte contre la fraude fiscale.
Les chiffres. Pour 2021, des résultats en hausse par rapport à 2019 et 2020, mais nettement en deçà des années antérieures, tandis que le nombre de contrôles reste à un niveau historiquement bas.
Les résultats financiers des contrôles fiscaux menés en 2021 s’élèvent à 15,66 milliards d’euros (pénalités et impôt éludé ayant fait l’objet d’un redressement compris). C’est objectivement plus qu’en 2020 (10,22 milliards), année marquée par la crise sanitaire et qu’en 2019 (13,51 milliards d’euros). C’est tout aussi objectivement moins que les années 2010 à 2018, années au cours desquelles les résultats ont oscillé entre 16 et 21 milliards d’euros.
Ainsi que notre rapport de mars 2022 le soulignait, le nombre de contrôles fiscaux a continuellement baissé depuis 2008. Les résultats de l’année 2021 le confirment. A titre d’exemple, on dénombre 27.550 vérifications de comptabilités en 2021 contre 35.545 en 2019 ou encore 47.692 en 2010, 48.218 en 2013, 46.266 en 2015, etc. Le nombre de contrôles ayant par la suite baissé, il n’est donc guère étonnant que les résultats financiers aient également baissé…
Encore les chiffres. L’orientation des pouvoirs publics consistant à tout faire pour que les résultats du contrôle soient acceptés est massivement utilisée.
Les pouvoirs publics estiment qu’un bon contrôle fiscal est un contrôle fiscal dont les résultats sont acceptés par l’entreprise ou le contribuable. Ils ont mis des outils en place pour cela (régularisation en cours de contrôle ayant pour effet de l’interrompre et transaction) : leur nombre explose. On dénombre en effet 49.049 régularisations en cours de contrôle (contre 36.206 en 2019 et 3.895 en 2018) et 4.562 transactions contre 2.732 en 2019. Il s’agit là d’une véritable changement de philosophie du contrôle fiscal, déjà souligné par Attac (note du 23 novembre 2020 intitulée : « Lutte contre la fraude fiscale ; l’impôt négocié en marche ? »), incarné par la loi « ESSOC » (Loi du 10 août 2018 « Pour un État au
service d’une société de confiance »). Cela se traduit par des dispositions visant notamment à faciliter les régularisations et visant à en finir avec le contrôle fiscal (la contrepartie du système déclaratif) tel qu’il existe depuis de longues années pour privilégier l’accompagnement des entreprises. Le contrôle fiscal est désormais davantage considéré par les pouvoirs publics comme un audit voire une prestation de service au contribuable ou à l’entreprise contrôlés que comme un contrôle mené au service de l’intérêt général dont l’objectif est d’identifier l’impôt éludé et de sanctionner la fraude.
Face à cette tendance de fond, les 1.503 dépôts de plaintes pour fraude fiscale (1.637 en 2019) pèsent bien peu. Un chiffre à mettre en comparaison avec les 1.421 poursuites pénales pour fraude aux prestations sociales, sur des montants pourtant incomparablement plus faibles qu’en matière de fraude fiscale (rappelons en effet que la fraude fiscale est estimée à au moins 80 milliards d’euros, la fraude aux cotisations sociales est évaluée à au moins 20 milliards d’euros tandis que la fraude aux prestations sociales est de 3 milliards d’euros maximum).
Toujours les chiffres : la présence du contrôle fiscal reste en baisse, au profit de la fraude fiscale.
Alors que le nombre de contrôles fiscaux ne cesse de baisser, le nombre d’entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés (IS) ou à la TVA ne cesse de progresser. Le nombre d’entreprises soumises à l’IS est en effet passé de 1,5 million en 2008 à 2,84 millions en 2021 tandis que le nombre d’entreprises assujetties à la TVA est passé dans la même période de 4 millions à 7,55 millions. Le ratio du nombre de contrôles rapporté au tissu économique et fiscal s’effondre donc, laissant à la fraude des marges de manœuvre de plus en plus importante.
Il reste tant à faire…
Les récentes affaires l’ont montré (McDonald’s par exemple) : le fraude fiscale est pratiquée à très grande échelle. Difficile dans ces conditions de vanter les mesures prises par les gouvernements passés. Rappelons à ce titre qu’en 2021, l’intelligence artificielle tant vantée par les pouvoirs publics représentait 44,1 % de la programmation des contrôles fiscaux mais seulement 8,9 % des résultats financiers.
Les faits sont têtus. Les gouvernements se sont obstinés à supprimer près de 4.000 emplois dans les services de contrôle fiscal depuis la fin des années 2000 en arguant que les mesures juridiques et technologiques seraient plus efficaces. Ils se sont trompés : la baisse des effectifs s’est traduite par une baisse du nombre de contrôles et des résultats financiers. Ils ont promu l’accompagnement des entreprises pour garantir leur sécurité juridique. Cet accompagnement s’est substitué au contrôle fiscal, à tort.
Avec 80 milliards d’euros, voire plus, la fraude fiscale reste élevée et présente des risques majeurs : perte du consentement à l’impôt, manque de recettes pour financer les besoins sociaux et écologiques, concurrence faussée entre entreprises, accroissement de l’injustice fiscale. Il est urgent de réorienter le contrôle fiscal et de le renforcer en moyens humains, législatives et matériels.