RETRAITES : UNE REFORME SUSPENDUE MAIS PAS ANNULEE !
Avec une bonne dose d’instrumentalisation politique, le Président et son Gouvernement réactive la réforme des retraites car Macron sait désormais qu’il ne pourra compter que sur les voix des électeurs de la Droite. Et il entend bien lui donner des gages, sachant cyniquement que la mobilisation sera rendue plus difficile par la crise sociale et les licenciements.
Le 16 mars dernier, le président de la République, lors de sa prise de parole dans le cadre de la crise du coronavirus annonce « la suspension » de toutes les réformes en cours en raison du contexte. La réforme des retraites, pour laquelle le gouvernement a utilisé le 49.3 afin de faire passer sans vote son texte en première lecture à l’Assemblée nationale, en fait partie.
Depuis cette date, les organisations syndicales n’ont plus entendu parler des retraites. Frédéric Sève, négociateur de la CFDT, syndicat favorable à la retraite universelle, déclare : « le président et le premier ministre ont donné les termes du débat : il faut éviter les sujets qui divisent les Français », ce qui « dresse l’acte d’accusation sur cette réforme ». Pour Catherine Perret, chargée du dossier pour la CGT, « on se dit qu’ils auront du mal à remettre le couvert ». Le Medef mi-avril se prononce pour un report de deux ans de la réforme « qui n’est vraiment pas la priorité du moment ».
Jusqu’au 10 juin, la réforme ne semble pas à l’ordre du jour. Elle n’apparaît pas dans l’agenda parlementaire alors que le Sénat doit examiner le projet. Le sujet des retraites n’a pas non plus été discuté le 4 juin dernier à l’Elysée, où le président de la République recevait syndicats et patronat alors qu’il a été question, en revanche, de l’assurance chômage.
Mais est-elle abandonnée pour autant ?
Non, la retraite universelle par points, le chef de l’État n’y a jamais renoncé.
Dès le 14 juin, il s’est adressé aux Français pour clore l’état d’urgence sanitaire et dessiner la fin de son quinquennat avec l’idée « d’une remise en mouvement d’un certain nombre de réformes, de réflexions ». Dans la perspective d’un second mandat, « on voit mal le président se présenter devant les électeurs en 2022 en ayant abandonné quelque chose d’aussi central dans son programme », estime une source gouvernementale.
En guise de premier pas vers l’universalité, selon la même source, il pourrait être question d’arrêter les embauches au statut dès 2022 dans les régimes spéciaux, comme l’a fait la SNCF en 2020. La CGT est alertée aussi par diverses caisses de retraite, en particulier celles des régimes spéciaux, que les travaux pour préparer le rapprochement des différents régimes ne s’étaient pas interrompus pendant le confinement. Certaines choses avancent donc en catimini.
Ce projet fondamental pour le pouvoir actuel pourrait donc revenir par la petite porte.
Le discours des figures de la majorité présidentielle a effectivement évolué. On est passé du « je ne suis pas certain qu’on pourra mener la réforme des retraites d’ici la fin du quinquennat » (Stanislas Guérini, délégué général de LREM) à « Les circonstances ont changé. Il faudra probablement l’adapter » (Gilles Legendre, le président du groupe LREM à l’Assemblée nationale). Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général du projet de loi, insiste sur le fait que « la réforme n’a jamais été enterrée », en précisant « La question maintenant, c’est comment et quand », avec un calendrier parlementaire encombré et des « échéances sénatoriales » en septembre. Cendra Motin, co-rapportrice, évoque la volonté de « garder la cohérence d’ensemble » malgré « un dossier hautement inflammable » mais précise « il faut qu’il soit traité avant 2022 pour montrer qu’on est responsable ».
Le Président n’a pas l’intention de céder sur son projet qu’il trouve « juste pour de nombreux français, les caissières ou les livreurs, ceux qui ont travaillé dur ces derniers mois ». Le débat agite encore la majorité entre ceux qui lui conseillent de renoncer par crainte d’un embrasement social et ceux qui le poussent à aller jusqu’au bout pour ne pas renier les trois premières années du quinquennat.
Sur le fond, rien n’a changé dans le credo de la Macronie. Le retour de la réforme est donc annoncé en exploitant la crise. Par stratégie politique, La République En Marche a repris à son compte une proposition de loi du député communiste André Chassaigne : revaloriser le minimum de pension des agriculteurs dès 2022, afin qu’il passe de 75 % à 85 % du SMIC. Guillaume Gouffier-Cha explique ce vote : « La crise va demander une solidarité nationale plus forte, envers certains régimes plus fragiles. Elle a démontré que la réforme était pleinement justifiée dans sa globalité, avec un système universel ».
Le retour de la réforme des retraites dans l’actualité provoque la colère des organisations syndicales de salariés qui se sont battus pour le retrait du projet (CFE-CGC, CGT, FO, FSU, Solidaires). Même la CFDT exprime son désaccord. « Ça n’a aucun sens d’aller se remettre sur la figure à la rentrée sur ce sujet-là », a jugé Laurent Berger.
Alors comment l’exécutif peut-il repartir sans relancer la contestation sociale et sans braquer l’opinion publique qui, au moment de la manifestation du 8 mars des femmes « grandes gagnantes de la réforme », restait encore aux 2/3 opposée au projet.
En ne gardant que certains pans du projet ?
Selon l’entourage présidentiel « ceux qui concernent la justice sociale » : mesures en faveur des femmes et des aidants familiaux, modalités de calcul des droits qui seraient plus favorables pour les personnes ayant eu des parcours professionnels hachés…
Nous avons montré que les dispositifs prévus constituaient une régression des droits.
En faisant quelques concessions, notamment sur les rythmes et les modalités de transition des régimes spéciaux vers le régime général qui pourraient encore être discutés ?
La FSU défend les régimes spéciaux et le Code des pensions pour les fonctionnaires.
En n’agitant pas le chiffon rouge de « l’âge pivot » ?
Nous craignons l’adoption de mesures comme l’augmentation du nombre de trimestres pour obtenir sa retraite à taux plein : ce curseur doit progressivement être porté à 43 ans pour la génération née à partir de 1973, mais il pourrait s’appliquer plus vite – c’est-à-dire dès la génération 1965 ou 1970, par exemple.
En reprenant les négociations sur la revalorisation salariale des enseignants, grands perdants de la réforme, destinée à leur garantir des pensions équivalentes à la situation actuelle ?
Blanquer l’a annoncé pour fin juin.
Rappelons que pour la FSU, il faut une revalorisation salariale déconnectée de la réforme des retraites, en aucun cas associée à des formes de contreparties sur le temps de travail ou sur la nature des missions ni largement sous la forme de primes. De plus, hors de question d’ « oublier » les autres personnels de l’Éducation Nationale dans cette revalorisation.
Alors que l’exonération de cotisations sociales patronales s’est amplifiée, la question du financement des retraites reste première. Même plus qu’avant en sachant que les comptes sociaux se sont sévèrement dégradés depuis le début de l’épidémie et que la prise en charge « du grand âge » par la Sécu exigera aussi des ressources.
Le projet de loi organique, deuxième volet de la réforme des retraites, est pérenne. « La règle d’or » obligeant le système de retraite à l’équilibre pendant 5 ans reste d’actualité. Avec un système à points, l’objectif est avant tout l’équilibre financier et non d’assurer une retraite décente et stable.
Nous avons déjà démontré comment il engendre une baisse du niveau global des pensions et un recul de l’âge de départ à la retraite. En période de crise économique, avec une baisse du PIB record, il n’est pas difficile d’imaginer l’impact dramatique sur le niveau des pensions des retraités.
La suspension de la réforme des retraites ne signifie pas son abandon. Que Macron souhaite « se réinventer » dans « le monde d’après », nous n’y croyons pas un instant.
Nous devrons le contraindre à d’autres choix économiques, sociaux et écologiques. Dans les semaines et les mois à venir, en mobilisant avec d’autres forces sociales les salariés et la population, nous devrons gagner cet abandon définitif."
Marie-Laurence Moros, représentante au CFR-FSU national.