La voix professionnelle subit, depuis 2009, une dégradation volontaire de la part des politiques publiques. Pas à pas, on en arrive aujourd’hui à la nomination d’une ministre déléguée à l’enseignement professionnel placée sous la double autorité du ministère du Travail et du ministère de l’Éducation Nationale ce qui témoigne d’objectifs cruellement restreints pour des jeunes particulièrement fragiles.
Pour comprendre la globalité des réformes successives de la voie professionnelle, il faut remonter en 2009 avec la fin du baccalauréat professionnel en quatre ans et son alignement sur les voies générale et technologique. Cette réforme permet, après la classe de troisième, l’accès à un cursus en trois ans avec des passerelles permettant une réorientation en CAP en fin de seconde ou une réorientation vers une première technologique en fin de première où le passage d’une certification intermédiaire (CAP ou BEP rénové) permet de valider les compétences professionnelles acquises au bout de deux ans. Cette réforme instaure « l’aide individualisée » capable de répondre à toutes les difficultés des jeunes… L’abaissement mécanique de l’âge des jeunes entrant en seconde professionnelle est la conséquence directe de cette réforme. La naissance du bac pro trois ans inaugure ainsi la marche vers le monde « libéral » et ses conséquences pour l’enseignement professionnel initial sous statut scolaire.
À cette première attaque d’envergure, s’ajoute, en 2014, la réforme de la taxe d’apprentissage. Les lycées professionnels voient leur dotation amputée une première fois. Cette réforme correspond au transfert à la Région « de la politique d’accès à l’apprentissage et à la formation professionnelle des jeunes et des adultes à la recherche d’un emploi ou
d’une nouvelle orientation professionnelle » . Dès lors, l’objectif poursuivi est l’augmentation du nombre d’apprentis en favorisant les CFA. La réforme de la taxe d’apprentissage, qui diminue le financement des établissements, est restée la constante principale au cours des réformes successives qui suivront.
2018, loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » :
La libéralisation de l’offre de formation est bel et bien centrale dans le volet apprentissage de cette loi. Le pilotage de l’apprentissage est désormais dévolu aux branches professionnelles qui peuvent ouvrir des formations où bon leur semble, même si un lycée professionnel dispense des formations identiques à proximité. Les filières insérantes présentes dans nos
établissements risquent fort d’être concurrencées.
Cette même loi acte la fin du BEP et de la validation intermédiaire qui sont remplacées par une attestation de compétences délivrée à la fin de la première par un organisme privé !
2021, la réforme dite «TVP » (transformation de la voie professionnelle) n’a d’autre objectif que de mettre en concurrence (forcément déloyale) la formation initiale sous statut scolaire et l’apprentissage.
La TVP se décline en 12 points clés, nous en présentons les plus saillants :
- Création de campus des métiers qui regroupent des lycées généraux, professionnels et technologiques. Ils se veulent des « campus d’excellence ». Cependant, la voie professionnelle reste toujours une voie de relégation malgré les multiples plans prétendant la « revaloriser ». Si l’on sait qu’elle ne pourra jamais être une voie d’excellence sans un vaste plan de revalorisation des métiers auxquels elle prépare, certains dispositifs peuvent et doivent néanmoins être revus et améliorés. C’est notamment le cas des pratiques d’orientation et des dispositifs d’affectation. Ce sont
les jeunes aux résultats scolaires les plus fragiles qui sont orientés vers la voie professionnelle. La création ou le renforcement des « Harwards du pro », supposés préparer à des parcours d’excellence, ne concernera qu’une infime partie des 700 000 jeunes scolarisé·es dans la voie professionnelle. L’objectif du ministère est d’y attirer des jeunes qui se destinaient à la voie technologique et non d’améliorer ni de sécuriser le parcours scolaire de tous les jeunes. - Imposer l’apprentissage dans tous les LP.
Cela est présenté comme un « partenariat renouvelé avec les entreprises pour favoriser l’insertion des jeunes » en développant le mixage des parcours afin de permettre aux jeunes de partir en apprentissage à n’importe quel moment de leur formation.
L’apprentissage est, de fait (ou quasi !) imposé aux établissements en particulier à ceux qui possèdent le label « lycée des métiers ». Les différents statuts des jeunes et les risques liés aux ruptures de contrat d’apprentissage sont générateurs de problèmes pédagogiques. Le mixage de publics si différents n’est évidemment pas sans conséquences pour les enseignant·es. En effet, le temps de formation n’étant pas le même, on peut craindre une remise en cause du statut avec une volonté de tendre vers une annualisation du temps de travail. Les conditions de travail s’en trouvent dégradées avec une progression différente suivant les élèves.
Si les cartes des formations doivent s’élaborer régionalement, elles doivent impérativement tenir compte de critères et d’éléments nationaux. Les prospectives sur l’emploi doivent contraindre les Régions et les rectorats dans leurs choix, peu importe les besoins en investissement. Les ouvertures de formations sur les métiers en tension ne doivent pas relever uniquement de l’apprentissage ! Un équilibre doit être imposé pour que les lycées professionnels proposent aux jeunes des formations dans lesquelles ils, elles souhaitent s’investir. - La décision de communiquer les taux d’insertion professionnelle est présentée comme un outil « pour éclairer le choix des familles » . En réalité, elle n’est pas une solution aux questions de l’orientation. Cette unique communication est malhonnête car elle cache d’autres données importantes. Ainsi, les taux d’abandon et de poursuite d’études en fonction de la voie doivent aussi être rendus publics, sans biais.
- Un regroupement en famille de métiers en seconde
En seconde, les jeunes choisissent une famille de métiers et peaufinent leur choix pour la première, à l’issue de laquelle le choix du métier sera effectué.
La classe de 2nde est perçue comme préparatoire à l’apprentissage : le LP « dégrossit les élèves » et les employeurs recrutent les « meilleurs » en apprentissage. Cette nouvelle classe de seconde provoque une déprofessionnalisation de la voie professionnelle sous statut scolaire : celles et ceux qui iront en apprentissage « compenseront » cette
année par 2 ans de formation à 50% en entreprises.
Pour celles et ceux qui continueront sous statut scolaire, ce sera une perte d’heures d’enseignement professionnel qui contraindra les collègues à centrer leur enseignement uniquement sur les enseignements favorisant une insertion immédiate. - Le développement de la co-intervention.
Deux enseignant·es (d’enseignement général et d’enseignement professionnel) prennent en charge un groupe classe. Aucun temps supplémentaire pour la préparation et la concertation n’est octroyé. Ce dispositif est inopportun. Les collègues d’enseignement général n’ont pas attendu cette injonction pour introduire fréquemment dans leurs
enseignements des thématiques liées aux enseignements professionnels et créer les articulations qui donnent du sens à la formation.
Pour financer ces dispositifs, y compris pour renforcer l’accompagnement individuel, l’ensemble des disciplines est mis à contribution, en perdant des heures d’enseignement, ce qui s’est traduit par des suppressions de 1 200 postes dans la voie professionnelle. - Tous les élèves devront réaliser un « chef d’œuvre » :Ce projet, à construire sur les deux dernières années, sera présenté à l’oral du bac ou du CAP.
L’avenir et le programme Macron ne sont guère plus réjouissant :
Passage de 22 à 30 semaines de PFMP (Périodes de Formation en Milieu Professionnel) avec une année de terminale à moitié en apprentissage. Les élèves de terminale seront « rémunérés » par l’État (200 € si mineur et 500 € si majeur). Les difficultés pour trouver les lieux de PFMP seront réelles mais l’octroi d’une main d’œuvre gratuite pendant six mois fera sans doute taire les réticences.
Sous le premier quinquennat Macron, le nombre d’apprenti·es est passé de 250 000 à 1 000 000. À l’initiative du MEDEF, les diplômes de Bac pro et CAP ont été transformés en blocs de compétences, avec embauches et rémunérations corrélées uniquement à ces compétences.
Bertrand Guillaud-Rollin, SNUEP-FSU
L’intersyndicale CGT Éduc’action, CNT, SNALC, SNETAA-FO, SNUEP-FSU, SUD Éducation, Se-UNSA, publie ce jour un communiqué pour dénoncer ce saccage :
Le communiqué de presse national de ce jour relatif à la nomination d’une ministre déléguée à l’enseignement professionnel placée sous la double autorité du ministère du Travail et du ministère de l’Éducation Nationale, signal extrêmement négatif :